Monaco Hebdo n° 366 - du 27 février au 5 mars 2003

 

Thierry de Montbrial «Si un pays peut, seul, aller faire la guerre à un autre, il n’y a plus de limites»

Invité pour la deuxième fois au Sea club, le 20 février dernier, par le président de la CMB, Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des Relations internationales (IFRI), livrait son analyse de la crise irakienne

I ra, ira pas ? Telle est la question que Thierry de Montbrial ne se pose plus sur l’éventualité d’une guerre en Irak : «Personne n’a les moyens de dire réellement ce qui va se passer. Mais les Américains ont déployé un tel arsenal que, même si G. W Bush le voulait, il ne pourrait pas revenir en arrière. Sans compter qu’en 2004, il y a les élections». Le cours de géopolitique générale, «système politique mondial, acteurs et régulation», sur lequel le président de l’IFRI avait décidé de plancher virait inévitablement à une analyse de la situation de crise entre les Etats-Unis et l’Irak, sans véritablement apporter d’éléments nouveaux dans le concert des scénarios plausibles. Une situation inédite Chute des empires, séquelles de la décolonisation, inconséquences stratégiques réitérées des Etats-Unis (Vietnam, Afghanistan…), Thierry de Montbrial reprenait une partie des arguments qu’il avait développés lors de sa précédente visite. Après quelques considérations d’ordre général où étaient évoqués les différents modes historiques d’équilibre des relations internationales, Thierry de Montbrial en arrivait à la conclusion suivante : «Depuis la chute de l’URSS, nous sommes dans une situation jamais connue dans l’Histoire. Une situation monopolaire où une seule puissance, les Etats-Unis, domine sur le plan économique et militaire». Le conférencier remontait ensuite le fil de l’histoire, des origines à l’engrenage des attentats du 11 septembre 2001, accréditant la thèse d’une guerre montée anticipée de longue date : «Le président Bush est venu au pouvoir avec l’idée de se débarrasser de Saddam Hussein en terminant le travail commencé par son père en 1992. Au mois de janvier 2001, le directeur de la CIA faisait un rapport sur les principales menaces auxquelles pourraient être confrontés les USA. Il s’agissait de : Ben Laden, des armes de destruction massive et de la Chine. Saddam Hussein n’était pas sur la liste. Bush qui connaissait peu la politique étrangère a pataugé. Puis il y a eu les attentats. Les USA ont frappé l’Afgha-nistan. Le conflit a été remarquablement mené mais sans que la question soit véritablement résolue. Il y aurait eu encore à traiter le problème du Pakistan où 30 millions de gens échappent au contrôle de l’Etat pakistanais». Pourquoi G. Bush a-t-il préféré sortir la question irakienne alors que Saddam Hussein ne constituait pas une menace réelle pour le monde ? Ecartant un peu vite la question des intérêts pétroliers, considérée par lui comme trop réductrice, Thierry de Montbrial défendait la thèse d’une croisade pour la démocratie : «L’entourage de Bush voulait éliminer Saddam Hussein avec le projet de restructurer la carte au Moyen-Orient, d’instaurer la démocratie en Irak et dans la foulée “contaminer” la Syrie. Ce projet existe formellement. C’est ce qui pousse les néo-conservateurs, très puissants, à suivre la doctrine dite d’action préventive». Un projet, un bouc émissaire, une mobilisation militaire, la guerre est donc inévitable. Dans ce scénario catastrophe, Thierry de Mont-brial pointait plus particulièrement le fait que les Etats-Unis veuillent déclarer la guerre unilatéralement : «En terme d’équilibre des forces, si un pays peut tout seul faire la guerre à un autre parce que ce dernier menace ses voisins, il n’y a plus de limites. N’importe quel pays pourra justifier ses actions unilatérales en se référant au conflit avec l’Irak». Un argument auquel certains pays, qui pour l’instant s’opposent au conflit, pourraient ne pas rester insensibles lors de l’examen de la nouvelle résolution présentée par les Etats-Unis devant l’ONU. Résolution dont la France ne voit pas l’utilité, préférant donner du temps aux inspecteurs de l’ONU. Reste que si leur rapport est suffisamment convainquant, les pays actuellement contre la guerre pourraient revenir sur leurs positions. Reste que, et là Thierry de Montbrial pourrait avoir raison, les Etats-Unis semblent décidés à faire la guerre coûte que coûte. Or, l’opinion américaine serait en train de changer. Selon un reportage récemment diffusé sur Arte, il y a un an, trois Américains sur quatre étaient pour la guerre. En 2003, ils seraient un sur deux à être contre. Georges Bush en tiendra-t-il compte ?

C. I.



 




 



 




 





 

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